vendredi 11 novembre 2016

La guerre novembre 1942



Il y très peu de témoignages d'habitants de la Cité pendant la guerre. En effet pratiquement tous les Citadins durent quitter leur domicile pour se réfugier chez des parents, des amis ou des personnes accueillantes dans des campagnes ou des villages, ainsi toute ma famille se réfugia à Saint Papoul pendant 1 an ou 1 an et demi. Dans la Cité seules 6 ou 7 personnes furent, pour des raisons professionnelles, réquisitionnées pour y rester: taxi, professionnels de l'hôtel...
Aujourd'hui ne restent que quelques vagues souvenirs citadins.

Le texte que je vous propose a été écrit par Robert Anguille qui a vécu la guerre dans son village de Ribaute.
C'est un témoin qui raconte simplement, sans grandiloquence, cette période douloureuse pour tous, la plupart obligés de faire avec...., de faire comme si ..., en espérant que cela se termine au plus vite, avec cette peur permanente, qui vous fait sursauter au moindre bruit, qui vous fige au silence pesant, mais avec une volonté de vivre malgré tout.
En ce mois de Novembre, mois du souvenir, je me permets de vous faire profiter du témoignage de Robert Anguille.



      Soldats allemands à Ribaute ( novembre 1942 )

Le 8 du mois a eu lieu le déparquement en Afrique du nord de soldats Etats Uniens et Anglais. Le 11 les troupes allemandes franchissent la ligne de démarcation et se répandent  en zone libre.

Ribaute, où j’habite, (330 habitants dans les années quarante) est un  village du sud de la France , dans les Corbières , situé par voie routière à quarante kilomètres de Carcassonne, chef-lieu du département de l’Aude . La route départementale  qui relie Lagrasse à Lézignan- Corbières le traverse. La population essentiellement paysanne y vit de ce que lui rapporte la vigne. La rivière Orbieu, affluent du fleuve côtier Aude, s’écoule au pied des bas quartiers du village.
Ce jour-là, en début d’après-midi, enfourchant ma bicyclette j’étais allé faire un tour à Lagrasse  et j’ai trouvé à la sortie de ce village, ô surprise ! une colonne motorisée de soldats  allemands, selon toute apparence  prête  à partir vers Ribaute. Autant qu’il m’en souvienne, il y avait en tête deux sidecars, suivis de véhicules légers à quatre places précédant des camions de transport d’infanterie . Tout cela était si inattendu que je le mémorisai illico.
J’ai fait aussitôt demi-tour pour annoncer la " bonne nouvelle" aux Ribautois.
Je ne me souviens pas de la date précise. Je sais seulement que,  dès le 11 novembre, l’armée teutonne s’installait à Carcassonne. Le 11 novembre 1942 était un mercredi. Sous le régime de Vichy on ne commémorait pas l’armistice de 1918 ; la dernière cérémonie commémorative avait eu lieu le 11 nov.1940. 
Ci-joint la photo que j’avais prise au monument aux morts de Ribaute. Né le 9/11/24, j’avais alors 16 ans. Lorsque j’ai vu tous les anciens combattants du village réunis et leur air grave j’ai été saisi par l’émotion, et le gamin que j’étais n’a pas hésité à proposer à ces hommes qui avaient connu les horreurs de la guerre de 14-18, où beaucoup d’enfants de Ribaute étaient tombés, de les prendre en photo.
Ce jour de novembre 42 donc, un jour de beau temps, que pouvaient faire les villageois en ce début d’après-midi ? Sans doute étaient-ils pour la plupart  occupés à tailler la vigne .La plupart des femmes devaient être au village. Il est probable que les hommes dispersés dans les environs aient été prévenus et soient rentrés chez eux .De cela je ne me souviens que très vaguement mais, de mémoire, il y eut vite du monde dans les rues et sur la place. Et quelques commentaires ; notamment : «  Pourquoi ces allemands s’arrêteraient-ils à Ribaute ?  ». Oui, mais le fait est qu’ils s’y arrêtèrent.


Paul, mon frère ( 22 ans ) qui était coiffeur en plus d’être viticulteur, se trouvait à la maison. Aussitôt apprise la nouvelle, il enveloppa d’un linge ses rasoirs, ses ciseaux et sa tondeuse ,  rangea soigneusement le tout dans une boite métallique qu’il alla cacher quelque part dans un recoin de notre grenier : «  Je ne fais plus le coiffeur ». Cependant, sur le soir les premiers clients se présentaient.  Il les renvoya poliment. Même pas une demi-heure après, le maire arrivait accompagné d’un gradé, peut-être un capitaine ( ? ).   « Paul, il faut que tu les reçoives  sinon vous allez avoir des ennuis. Il faut que tu comprennes la situation ». Alors, tous les soirs, dans la pièce du rez de chaussée où nous vivions, il y eut de jeunes allemands qui venaient se faire tailler les cheveux. Mon grand – père (80 ans) allait se coucher, le reste de la famille se cantonnait dans  la cuisine, sauf moi qui restais avec mon frère et qui, pour m’occuper, sur la table familiale poussée dans un coin, faisais mes devoirs ; j’étudiais par correspondance. Tout se passait en silence mais les trois ou quatre soldats, qui arrivaient et repartaient ensemble, échangeaient parfois quelques mots. Un soir, l’un d’eux, apercevant ma mère et ma grand’mère qui tricotaient assises dans la cuisine près de la cheminée, capta mon regard et me dit quelque chose comme : « la maman ». Il me fit comprendre qu’il avait lui  « aussi une maman en Allemagne. Puis, brusquement, il saisit ma main et me fait constater à travers le tissu de son pantalon qu’il a une blessure profonde à la cuisse .Il dit un mot et je comprends «  Russie  ». Moment surréaliste. Chez moi, dans ma maison, trois jeunes allemands en uniforme. Loin de leur famille. Envoyés au repos  dans le Midi de la France après avoir fait la guerre en Russie. Un peu perdus, sans doute et quêtant d’instinct un peu de chaleur, un peu de fraternité. Ces garçons, je pourrais être un des leurs. Une bande de fous les a envoyés à la boucherie !
Un soir, arrive un officier qui lui aussi se fait tailler les cheveux. Mais lui, il ne repart pas tout de suite. Il s’installe. Il parle un français très correct. Il est professeur d’histoire. Francophile. Il dit que la France et l’Allemagne doivent s’unir. Qu’elles domineront le reste du monde. En nous quittant il nous tend la main. Tout cela est cruellement humain.
Quelquefois, même en présence de ces clients peu ordinaires, j’écoutais Radio – Londres. Un soir l’un deux me demanda d’un signe s’il pouvait «  se servir » du poste et, sans attendre de réponse, il se mit à tourner le bouton de sélection, jusqu’à ce qu’une voix allemande sorte du haut-parleur. Avec un sourire réjoui ses camarades s’approchent et écoutent. Mais il s’agit d’une émission d’informations  anglaises, donc émanant de l’ennemi, et leur visage se décompose. Ils s’écrient : « Communist ! Terrorist ! » et éteignent rageusement le poste. Mon frère et moi rigolons en silence, tandis qu’un ami qui se trouve là éclate carrément de rire devant leur déconvenue. Il sera tué par des soldats allemands à Ribaute même le 23 juillet 1944.

Ils resteront une semaine à Ribaute où la vie a repris son cours. Il y a le couvre-feu, mais le jour chacun vaque à ses occupations.
Je taille la vigne des «  Moulinols  », une petite parcelle au bord de l’Orbieu. Une vingtaine de soldats arrivent et, à quelques mètres, se mettent à faire des exercices physiques. Bras tendus à l’horizontale et un fusil dans les mains, flexions des jambes en comptant le nombre de mouvements. Pompes à n’en plus finir, jusqu’à ne plus pouvoir se relever, sous la surveillance d’un capo qui, à la première défaillance , d’un méchant coup de botte appliqué violemment sur l’arrière du crâne plaque la face du soldat contre la terre de ma vigne. Sur une crête rocheuse se tient un officier portant un uniforme extrêmement  chic. Il surveille tout ça, une badine à la main. M’efforçant de faire comme si de rien n’était je continue de tailler la vigne.
Je suis au «  Caïran », une autre petite vigne plantée sur la pente d’un ravin de la Bade, petite colline au sud de Ribaute, et je taille. En voilà d’autres , un petit groupe. Ils s’installent sur l’autre pente, à une centaine de mètres de moi, et font du tir à la mitrailleuse. Ça crépite un bon moment. Mais que fait le Coucou dont le chant se répercute habituellement en écho dans ce coin perdu ? Quand ils sont repartis, par curiosité je me rends à l’endroit du tir. Il y a au sol une innombrable quantité de douilles . Et j’entends un bruit de pas, c’est un soldat chaussé de souliers ferrés qui marche sur la rocaille. Il vient d’où se dirigeaient les tirs. On l’avait probablement posté là- bas pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de danger pour un éventuel passant ; ou peut-être aussi pour ramener la cible. Il passe pas loin de moi et ne me voit pas. Je m’empare d’une douille!
Les allemands, il a bien fallu les loger. Les hommes de troupe sont au Foyer des Campagnes, notre salle des fêtes. Les Officiers et sous-officiers chez l’habitant. Des chambres ont été réquisitionnées. Chez Maurice G., le capitaine dort avec son ordonnance.
On leur sert les repas sur la place du village où la cantine est installée tous les jours le temps nécessaire. Les troufions font la queue pour recevoir leur ration. Quelques badauds, surtout des enfants qui enfreignent l’interdiction faite par les parents. Ça se bouscule un tout petit peu dans la file d’attente. Le fauteur de trouble est repéré ; quand on lui a rempli sa gamelle le capo de service la retourne et la lui vide sur les pieds. Il dormira le ventre vide cette nuit.
Voilà, ils sont repartis. Au petit jour on a entendu le bruit des moteurs.



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